Fin du monde

24

Place des Ombres

Ce matin-là, en m’éveillant, je constatai que le magnifique temps clair des trois derniers jours avait laissé la place à un ciel couvert d’une couche uniforme d’épais nuages sombres. La lumière du soleil parvenait à grand-peine à les traverser et n’atteignait la terre que dépouillée pour la plus grande part de son éclat et de sa chaleur ordinaires. Dans la froide lumière gris terne, les silhouettes courbes des arbres, étendant vers le ciel leurs branches dénudées, semblaient des craquelures dans le paysage traversé par l’écho gelé et raidi de la rivière. On s’attendait à voir la neige se mettre à tomber d’un instant à l’autre, mais elle ne se décidait pas.

— Il ne neigera pas aujourd’hui, m’apprit le vieux colonel. Ce ne sont pas des nuages de neige.

J’ouvris la fenêtre pour regarder à nouveau le ciel mais j’étais incapable de faire la différence entre les nuages qui amenaient la neige et ceux qui ne l’amenaient pas.

 

Le gardien était assis devant le grand poêle de fonte. Il avait enlevé ses chaussures et se réchauffait les pieds. Le poêle avait la même forme que celui de la bibliothèque, avec deux plaques sur le dessus pour poser une bouilloire ou une marmite, et un tiroir tout en bas pour retirer les cendres. L’avant ressemblait à un petit secrétaire, avec sa grande poignée de métal. Assis sur une chaise, le gardien avait posé les deux pieds sur cette poignée. La pièce était pleine d’humidité et sentait le renfermé, à cause de la vapeur qui s’échappait de la bouilloire et de l’odeur de tabac pour pipe à bon marché – il s’agissait probablement d’un succédané de tabac. Bien sûr, l’odeur des pieds du gardien devait aussi se mêler à l’ensemble. Derrière sa chaise, se trouvait une grande table de bois, sur laquelle était alignée toute une série de serpes et de hachettes, à côté d’une pierre à aiguiser. La patine sur les manches de tous ces outils attestait d’une longue utilisation.

— C’est au sujet d’une écharpe, commençai-je abruptement. Sans écharpe j’ai vraiment le cou gelé.

— Oui, sûrement, dit le gardien d’un air sérieux. Oui, je comprends.

— Dans la salle de documentation de la bibliothèque, il y a des vêtements dont personne ne se sert. Je me demandais si je pouvais en prendre une dedans ?

— Ah, c’est donc ça ? Écoute, tu peux prendre tout ce que tu veux. Si c’est toi, ça ne me dérange pas. Prends ce que tu veux, écharpes, manteaux…

— Ils n’appartiennent à personne ?

— Ne t’occupe donc pas des propriétaires. Même s’il y en avait, ça fait longtemps qu’ils ont oublié ces affaires-là. À propos, il paraît que tu cherches un instrument de musique ?

Je hochai la tête. Il savait vraiment tout.

— En principe, les instruments de musique n’existent pas dans cette ville. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas un quelque part. Tu fais ton travail sérieusement, je ne vois pas d’inconvénient à ce que tu possèdes un instrument de musique. Va à la centrale électrique et demande au surveillant. Tu en trouveras peut-être un comme ça.

— La centrale électrique ? dis-je, surpris.

— Il en faut bien une, non ? dit le gardien en montrant l’ampoule au-dessus de sa tête. D’où tu crois qu’elle vient, l’électricité ? Des pommiers peut-être ?

Hilare, il me dessina un plan pour trouver le chemin de la centrale électrique.

— Tu remontes la rivière par le chemin du côté sud. Au bout d’une demi-heure de marche à peu près, tu verras un vieux silo à grain sur ta droite. Un truc qui n’a plus de toit ni de porte. Tu tournes à droite au coin de ce silo, et tu suis le chemin un moment. Tu vas tomber sur une colline et, de l’autre côté de cette colline, tu rencontreras la forêt. Tu entres dans la forêt et, au bout d’une centaine de mètres, tu trouveras la centrale électrique. Tu as bien compris ?

— Je crois que oui, répondis-je. Mais ce n’est pas dangereux d’aller dans la forêt en hiver ? C’est ce que tout le monde dit ici, et moi aussi j’ai eu des ennuis pour y être allé.

— Ah oui, c’est vrai. Je n’y pensais plus, à ça ! J’ai dû te ramener en haut de ta colline sur ma charrette. Mais tu vas bien maintenant ?

— Oui, ça va, merci.

— C’était une amère expérience, mais tu as compris la leçon, hein ?

— Oui.

Le gardien eut un large sourire, puis il changea la position de ses pieds sur la poignée du poêle.

— C’est bien, de tirer profit d’une expérience ! Ça rend prudent. Et, quand on est prudent, on ne risque plus de se faire mal. Le bon bûcheron, c’est celui qui n’a qu’une cicatrice. Ni plus, ni moins. Une seule ! Tu comprends ce que je veux dire ? (Je hochai la tête.) Bon, mais ne te fais pas de souci à propos de la centrale électrique. Elle se trouve juste à l’orée de la forêt et il n’y a qu’un chemin, tu ne peux pas te perdre. Tu ne rencontreras pas ceux de la forêt. Le coin dangereux, c’est le fond de la forêt et aussi la partie près du mur. Si tu évites ces deux endroits, tu n’as pas à t’inquiéter du reste. Seulement, il ne faut sous aucun prétexte quitter le chemin, ni aller plus loin que la centrale. Tu risques à nouveau de graves ennuis si tu vas au-delà.

— Le surveillant de la centrale, il vit dans la forêt ?

— Ce type-là ? Non. Il n’est pas comme ceux de la forêt, et pas non plus comme ceux de la ville. Un type entre les deux. Il ne pénètre pas dans la forêt, mais il ne revient pas non plus en ville. Ce n’est pas un mauvais bougre, mais c’est un poltron.

— Et ceux de la forêt, comment sont-ils ?

Le gardien pencha la tête et me regarda un moment en silence. Puis :

— Je crois que je te l’ai déjà dit au début : tu peux me demander ce que tu veux, mais libre à moi de te répondre ou non. (Je hochai la tête.) Bon, allez, ça va, j’ai pas envie de répondre, voilà tout. Au fait, ça fait un moment que tu veux revoir ton ombre, qu’est-ce que tu dirais de le revoir maintenant ? Avec l’hiver, ses forces se sont affaiblies, et je ne vois pas d’inconvénient à ce que tu le voies.

— Il est malade ?

— Non, il n’est pas malade. Il se porte à merveille. Il sort plusieurs heures par jour, et je lui fais faire de l’exercice. Il a un appétit de loup. Seulement, quand c’est l’hiver, que les jours raccourcissent et que le froid augmente, leur tonus baisse, c’est pareil pour toutes les ombres. Ce n’est de la faute de personne, c’est la nature qui veut ça. Ce n’est ni ma faute ni la tienne. De toute façon tu vas le voir, alors tu en parleras directement avec lui.

Le gardien prit le trousseau de clés accroché au mur, l’enfonça dans la poche de sa veste et enfila en bâillant de solides brodequins de cuir. Ils avaient l’air terriblement lourds, et des pointes de fer permettant de marcher dans la neige étaient clouées aux semelles.

Les ombres habitaient un domaine à mi-chemin entre la ville et le monde extérieur. Moi, je ne pouvais pas sortir de la ville, et mon ombre ne pouvait pas y pénétrer. C’est pourquoi la « place des Ombres » était l’unique endroit où pouvaient se retrouver les gens qui avaient perdu leur ombre et les ombres qui avaient perdu leur propriétaire. En sortant par la porte de derrière de la cabane du gardien, on tombait juste sur la place des Ombres. Enfin, elle n’avait de « place » que le nom, car ce n’était pas une étendue particulièrement vaste : à peine un peu plus grande que le jardin d’une maison ordinaire, elle était entourée d’une sévère palissade d’acier. Le gardien sortit le trousseau de clés de sa poche, ouvrit la porte d’acier, me fit entrer devant lui. La place était en forme de carré bien net, le côté du fond formé par le mur qui encerclait la ville. Dans un coin végétait un vieil orme, sous lequel était placé un simple banc. C’était un orme blanchi, dont on ne savait pas s’il était encore vivant ou déjà mort.

Au coin du mur, une petite cabane avait été aménagée à l’aide de vieilles tuiles et de bois de récupération. Il y avait tout juste une porte, faite d’une chute de bois. On ne voyait pas de cheminée, il ne devait pas y avoir de système de chauffage à l’intérieur.

— C’est là que dort ton ombre, me dit le gardien. Ce n’est pas aussi inconfortable que ça en a l’air. D’abord, il y a l’eau courante, et des toilettes. Il y a aussi un sous-sol, où le vent ne peut pas s’infiltrer. Ce n’est peut-être pas aussi bien qu’un hôtel, mais enfin ça protège de la pluie et du vent. Tu veux jeter un coup d’œil à l’intérieur ?

— Non, je préfère le voir ici, répondis-je.

L’atmosphère nauséabonde de la cabane du gardien m’avait donné mal à la tête, et je préférais de loin respirer l’air frais du dehors, quitte à avoir un peu froid.

— D’accord, je vais le chercher, dit le gardien avant d’entrer seul dans la petite cabane.

Je relevai le col de mon manteau, m’assis sur le banc sous l’orme et attendis l’arrivée de mon ombre en creusant le sol avec mes talons de chaussures. La terre était dure, il restait des plaques de neige gelée par endroits. Au pied du mur, toujours à l’ombre, la neige persistait et ne fondait pas.

Un moment plus tard, le gardien ressortit de la cabane en compagnie de mon ombre. Le gardien traversa la place à grandes enjambées, en écrasant le sol gelé sous les pointes de ses chaussures, tandis que mon ombre le suivait lentement. Il n’avait pas l’air en aussi bonne santé que me l’avait dit le gardien. Dans son visage, bien amaigri depuis la dernière fois, ses yeux et sa barbe ressortaient de façon sinistre.

— Bon, je vous laisse seuls tous les deux un moment, dit le gardien. Vous avez sûrement plein de choses à vous dire. Vous pouvez bavarder tranquillement. Mais pas trop longtemps quand même, hein. Si jamais vous vous remettiez ensemble, ça serait d’autant plus dur pour vous d’être séparés à nouveau. Et en plus ça ne servirait à rien. Juste à vous créer réciproquement des ennuis. Pas vrai ?

Je hochai la tête en signe d’assentiment. Il avait sûrement raison. Si l’ombre s’attachait à nouveau à moi, elle me serait arrachée à nouveau et voilà tout.

Mon ombre et moi, nous suivîmes le gardien des yeux pendant qu’il mettait la clé sur la porte et disparaissait à nouveau dans sa cabane. Le crissement des pointes de ses souliers mordant la neige s’éloigna peu à peu, et bientôt la lourde porte de bois retomba avec fracas. Quand la silhouette du gardien eut disparu, l’ombre vint s’asseoir près de moi, puis se mit à faire des trous dans la terre avec ses talons, comme moi. Il portait un chandail trop large aux mailles distendues, un pantalon de travail et les souliers que je lui avais fait remettre.

— Tu vas bien ? demandai-je.

— Je n’ai aucune raison d’aller bien, répondit l’ombre. Il fait trop froid, et la nourriture est infecte.

— Il m’a dit que tu faisais de l’exercice tous les jours.

— De l’exercice ? fit l’ombre en me regardant d’un air surpris. Ça ne s’appelle pas de l’exercice, ce que je fais. Le gardien me tire de force d’ici tous les matins pour aller l’aider à brûler les cadavres des bêtes, c’est tout. On empile les cadavres sur la charrette, on passe la porte pour les transporter jusqu’à la pommeraie, et on les brûle après les avoir arrosés d’huile. Avant de les brûler, le gardien leur tranche proprement la tête avec sa serpe. Toi aussi, tu as dû voir sa superbe collection d’outils tranchants ? Il est vraiment tordu, ce type. Si on le laissait faire ce qu’il veut, il parcourrait le monde en tranchant la tête à tout ce qui vit.

— Tu crois qu’il fait partie de la ville, lui ?

— Pas du tout ! C’est un employé, c’est tout. Il y prend plaisir, à brûler les bêtes. Ce serait inimaginable de la part de quelqu’un de la ville. Il en a brûlé pas mal depuis le début de l’hiver, tu sais. Ce matin, il y en avait trois de mortes. On va les brûler tout à l’heure.

Tout comme moi, l’ombre passa un moment à creuser le sol gelé sous ses pieds. La terre était aussi dure que de la pierre. Un oiseau hivernal pépia d’une voix aiguë avant de s’envoler des branches de l’orme.

— J’ai trouvé le plan, dit mon ombre. Il est mieux dessiné que je ne l’aurais cru, et les explications essentielles y sont. Seulement, c’était déjà un peu trop tard.

— J’ai été malade, dis-je.

— Je sais, on me l’a dit. Mais, de toute façon, l’hiver était déjà là, donc c’était trop tard. J’aurais voulu l’avoir plus tôt. Comme ça les choses seraient allées plus rondement, et j’aurais pu préparer mon plan plus tôt.

— Ton plan ?

— Oui, un plan d’évasion pour sortir d’ici, évidemment. Que veux-tu que ce soit d’autre ? Tu ne pensais tout de même pas que je voulais ce plan pour passer le temps ?

Je secouai la tête :

— Non, je pensais que peut-être tu allais pouvoir m’expliquer le sens caché derrière cette étrange ville. Parce que, de toute façon, tu as emmené avec toi une bonne partie de mes souvenirs.

— Non, ça c’est faux, dit l’ombre. C’est vrai que je possède la plupart de tes souvenirs mais je suis incapable de les utiliser de façon valable. Pour ça, il faudrait que nous soyons à nouveau ensemble, tous les deux, mais en pratique c’est impossible. Si on faisait une chose pareille, on ne nous laisserait plus nous revoir, et mon plan deviendrait impossible à réaliser. C’est pour cette raison que je réfléchis seul dans mon coin. Au sens caché derrière cette ville.

— Et tu as compris quelque chose ?

— Un peu, oui, mais je ne peux pas encore te le dire. Si je ne renforce pas ma théorie dans les détails, elle ne sera pas convaincante. Alors laisse-moi réfléchir encore un peu. Avec encore un peu de réflexion, il me semble que je vais comprendre quelque chose. Mais il sera peut-être trop tard à ce moment-là. J’ai constaté que l’hiver affaiblissait beaucoup mes forces, et il est fort possible que j’arrive à mettre au point un plan d’évasion mais n’aie pas la force suffisante pour le réaliser. C’est pour ça que je voulais ce plan avant la venue de l’hiver.

Je regardai l’orme au-dessus de ma tête. Entre ses grosses branches on voyait les nuages d’hiver se découper nettement.

— Mais on ne peut pas s’enfuir d’ici ! dis-je. Tu as bien regardé le plan, non ? Il n’y a pas de sortie, nulle part ! C’est la fin du monde ici. On ne peut ni revenir en arrière, ni aller de l’avant.

— C’est peut-être la fin du monde, mais je t’assure qu’il y a une sortie. Je le sais, j’en suis sûr. C’est inscrit dans le ciel : Il y a une sortie ! Les oiseaux, ils passent bien le mur, non ? Et où vont-ils, ces oiseaux qui ont survolé le mur ? Dans le monde du dehors ! C’est sûr, il y a un autre monde à l’extérieur de ces murailles, et c’est exactement pour ça que ce monde-ci est entouré de murailles : pour nous empêcher de sortir. S’il n’y avait rien dehors, quel besoin de construire exprès des murs pour entourer cette ville, hein ? Il y a une sortie quelque part, c’est sûr !

— Peut-être…

— Je la trouverai, je te dis, et je m’enfuirai d’ici avec toi. Je ne veux pas mourir dans un endroit aussi sordide.

Sur ces mots, l’ombre se tut et se remit à creuser le sol.

— Je crois te l’avoir dit au début, reprit-il, mais cette ville n’est pas naturelle, elle est erronée. Encore maintenant, j’en suis persuadé. Elle n’est pas naturelle, et elle est dans l’erreur. Mais le problème c’est qu’elle a été créée ainsi, artificielle et erronée. Comme rien n’est naturel et que tout est déformé, en fin de compte ça forme un tout cohérent. Elle est parfaite. Comme ça. (Avec ses talons il avait dessiné un cercle sur le sol.) Un cercle, c’est fermé. C’est pour ça que, quand on reste longtemps ici, on finit par se demander si on ne se trompe pas, si ce n’est pas eux qui ont raison. Parce qu’ils ont l’air si parfaits, si achevés. Tu comprends ce que je veux dire ?

— Je comprends très bien. Moi aussi il m’arrive de ressentir ça.

— Mais c’est une erreur de croire ça, continua l’ombre en traçant à côté du cercle des figures sans queue ni tête. C’est nous qui avons raison, ce sont eux qui se trompent. Nous, nous sommes naturels, et eux sont factices. Il faut y croire. Y croire jusqu’aux limites de nos forces. Sinon, avant même de t’en apercevoir, tu te feras aspirer par cette ville, et à ce moment-là il sera vraiment trop tard.

— Pourtant, ce qui est correct et ce qui est erroné, ce sera toujours quelque chose de relatif, et, en plus, moi, on m’a volé les souvenirs à l’aune desquels je pouvais comparer ces deux choses.

L’ombre hocha la tête :

— Je comprends très bien ton état de confusion, mais essaie de voir les choses comme ça : crois-tu à l’existence du mouvement perpétuel ?

— Non, fondamentalement, le mouvement perpétuel ne peut pas exister.

— Eh bien, c’est la même chose. La perfection, l’achèvement de cette ville, c’est exactement la même chose que le mouvement perpétuel. Fondamentalement, un monde parfait ne peut exister nulle part. Pourtant, ici, c’est la perfection. Ce qui veut dire qu’il y a un artifice quelque part. Tout comme le mécanisme qui apparaît à la vue comme le mouvement perpétuel utilise en fait en coulisse une force extérieure que personne ne voit.

— Et tu as découvert ce qu’il y avait derrière ?

— Non, pas encore. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, pour l’instant j’ai une hypothèse, mais je dois l’étayer par des détails précis. Cela me prendra encore quelque temps.

— Tu ne veux pas m’expliquer ton hypothèse ? Je pourrais peut-être t’aider un peu à l’étayer.

L’ombre sortit les deux mains des poches de son pantalon et les frotta sur ses genoux après avoir soufflé son haleine tiède dessus.

— Non, elle ne te servirait à rien. Moi, c’est mon corps qui souffre, mais toi, c’est ton cœur. Avant tout, tu dois guérir ton cœur. Sinon, tous les deux, nous serons fichus avant de pouvoir nous enfuir d’ici. Moi, je vais continuer à réfléchir seul, et toi, tu dois faire tous tes efforts pour te sauver toi-même. C’est la première chose à faire.

— C’est sûr que je suis en pleine confusion, dis-je en baissant les yeux sur le cercle dessiné par terre. Tu as raison. Je n’arrive pas à décider quel chemin choisir. Et aussi, je me demande quel homme j’étais autrefois. Quelle force peut encore posséder un cœur qui a perdu son moi ? Et tout cela au milieu d’une ville qui possède un système de valeurs et une puissance aussi énorme. Depuis l’arrivée de l’hiver, je ne fais que perdre peu à peu confiance en mon propre cœur.

— Non, tu te trompes, dit l’ombre. Tu ne perds pas confiance en toi. C’est seulement ta mémoire qui est habilement cachée. C’est cela qui te rend confus. Mais tu n’es pas dans l’erreur. Tu dois croire en ta propre force. Sinon, tu finiras par être entraîné par une force extérieure vers un lieu complètement absurde !

— Je vais essayer de m’y efforcer, dis-je.

L’ombre hocha la tête, puis contempla un moment le ciel nuageux. Bientôt il ferma les yeux, comme absorbé par quelque pensée.

— Quand je me sens perdu, je regarde toujours les oiseaux, dit-il. Quand je regarde les oiseaux, je suis convaincu que je ne me trompe pas. La perfection de cette ville n’a rien à voir avec les oiseaux. Et les murailles, la porte, le son du cor n’ont rien à voir non plus. Toi aussi tu devrais regarder les oiseaux quand tu doutes.

J’entendis le gardien m’appeler à l’entrée de la prison. J’avais dépassé le temps de visite.

— Ne viens plus me voir pendant quelque temps, me glissa l’ombre à l’oreille au moment de nous quitter. Je m’arrangerai pour te voir, moi, au moment voulu. Le gardien est un homme très soupçonneux et, si nous nous voyons trop souvent, il deviendra méfiant et se doutera de quelque chose, et, s’il se méfie, il me sera difficile d’agir. S’il t’interroge, tu prétendras que tu ne t’entends plus avec moi, d’accord ?

— Compris, répondis-je.

 

— Alors, comment c’était ? me demanda le gardien, une fois de retour dans sa cabane. Ça t’a fait plaisir de revoir ton ombre après si longtemps ?

— Je ne sais pas, dis-je en secouant la tête en signe de dénégation.

— Eh oui, c’est comme ça… fit le gardien d’un air satisfait.

La fin des temps
titlepage.xhtml
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html
Murakami,Haruki-La fin des temps(1985).French.ebook.AlexandriZ_split_045.html